Bulletin de l'ALSFX, Printemps 2011

Le chalet de demain

Je reviens tout juste du quartier Villeray de mon enfance, à Montréal. Revivre le passé, saluer quelques anciens voisins enracinés et revoir la maison familiale. Je regarde toujours les maisons. Ce ne sont plus les beaux duplex des années vingt. Les frontons avec leur motif de castor ou de feuilles d’érable, les fenêtres à vitrail, les linteaux harmonieux qui les coiffaient et les portes bien assorties. Les galeries aux colonnes et balustrades de bois, joliment galbées, blanches ou beiges; les escaliers et clôtures en fer forgé et plein d’autres détails.

Il ne reste presque rien de cette ornementation! Les belles d’autrefois ont perdu leur âme. Les portes et les fenêtres sont «energy star» et ne cadrent que dans leur cadre... Vous voulez voir à quoi ça ressemblait dans l’ancien temps? Allez au petit parc Molson, coin Beaubien et d’Iberville.

J’habite un chalet de bois des années cinquante, sur la rue (sentier) Mount. Ceux autour du mien sont aussi de cette époque et il y en a du même âge tout le long du lac, je crois bien. Certains ont souvent bien du mal à se tenir debout, sur leurs pilotis ou leurs fondations incertaines, à cheval sur un escarpement, avec le lac à portée de plongeon.

Sans voie d’accès pour la machinerie et sans parfois l’espace de terrain constructible minimum, je ne peux les imaginer que vieillir davantage. Et pourtant ils ont un certain charme, avec un côté champêtre et vieillot. Leur forme, leur toit, leurs fenêtres, leurs lucarnes parfois, leurs balcons en surplomb, leur couleur discrète, me plaisent et dégagent un semblant de style.

Et j’imagine qu’un jour tout mon secteur sera désenclavé; le prix des terrains aura explosé. Plusieurs vieux chalets seront éventuellement remplacés par d’imposantes villas qui ne toléreront plus de minables voisines. J’espère que je ne serai plus là pour voir le mien jeté par terre. Une nouvelle génération de propriétaires y livrera le reflet de son opulence, de sa conception de la demeure idéale. Et cela ressemblera à quoi? Verrons-nous pousser là des maisons de banlieue, des prototypes du vingt-deuxième siècle ou même de beaux chalets, mais sans aucun lien avec la vue d’ensemble? Bien sûr nous sommes en Amérique; notre liberté individuelle est absolue et produit souvent de belles réussites, dans ce domaine comme dans bien d’autres. Et certains des châteaux d’en face ne sont pas sans me faire rêver.

Ne pensez pas que je suggère de tout abandonner à un promoteur qui nous rachètera tous à bon prix. Il transformera le secteur en un domaine; il se chargera de la route, des installations septiques. Il rasera tout; il sortira un modèle de construction unique ou en quelques versions et en parsèmera notre rive, au profit de richissimes acquéreurs. Car c’est certain qu’il y aura preneur chez les biens nantis pour de tels emplacements.

Mais si la préoccupation de l’environnement de notre habitat de demain venait à l’ordre du jour, à la grandeur de la municipalité même, peut-être pourrions-nous mousser l’adoption d’un certain style, le style …Wentworth-Nord; pourquoi pas? Le service d’urbanisme de la municipalité aurait quelques critères à suggérer dans ses cartons pour les rénovations et les nouvelles constructions. Il proposerait des types de façade ou de toiture appropriés. Par des incitatifs à déterminer, on inviterait résidents et villégiateurs à délaisser le concept hérité de la banlieue pour quelque chose de plus près de la maison de campagne. Matériaux de recouvrement et couleurs en harmonie avec le paysage pourraient être privilégiés. On prônerait l’intégration à l’environnement.

Bien, il est peu probable que l’on emprunte cette voie; mais je me croise les doigts et j’espère que chacun fera mieux ici que dans mon ancien quartier. Investir, une partie de ses économies souvent, pour un résultat décevant auquel l’on finira quand même par s’habituer, ce n’est quand même pas banal; et comme le beau, je ne sais pas pourquoi, coûte souvent trop cher… En fait, je le sais; je l’ai vécu : la disparition des frontons, des vitraux, des attributs purement ornementaux et à problème; ça s’inscrivait dans la logique du moindre coût, du manque de vision et de la libre entreprise.

Tout ça, c’est utopique? Et si c’était, au contraire, d’actualité; si tout l’aménagement du secteur auquel s’intéresse actuellement le Comité sur les terrains orphelins, par exemple, faisait l’objet d’une certaine planification? Je ne parle pas d’engloutir des millions à tout imaginer et à tout reproduire sur une maquette dont le dévoilement justifierait la visite de tout le gratin politique. Ne pourrait-on pas établir quelques règles, définir une trame de base, un plan …ouvert?

Mais avec quelles ressources, me direz-vous? Prenons l’exemple de notre association; elle a quand même plusieurs réalisations à son actif et tout s’est fait avec peu de deniers mais de longue haleine et avec beaucoup de volonté. Bon, il en faudra peut-être plus ici. Formons un autre comité peut-être!

 Carl Chapdelaine